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Interview

Urbasense : des capteurs connectés pour prendre le pouls des arbres

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Innovations sectorielles

Fondée en 2015, Urbasense a développé il y a peu une solution de suivi de l’activité biologique des arbres basée sur l’utilisation de capteurs dits « micro-dendrométriques », permettant de mesurer les infimes variations du diamètre des rameaux. Corrélées à des informations météo, ces données permettent à la jeune entreprise de fournir un bulletin d’analyse mensuel de la santé du patrimoine arboré.

Après s’être lancée à ses débuts avec un service de suivi agronomique des plantations basé sur l’utilisation de sondes tensiométriques, Urbasense propose depuis un an et demi une solution complémentaire de suivi micro-dendrométrique des arbres. Une innovation sélectionnée parmi les « coups de cœur » du Concours Innovert, organisé dans le cadre du salon du végétal d’Angers¹. Connectés à une station sans-fil de transmission des données, la Minisense®, les capteurs micro-dendrométriques utilisés par Urbasense permettent d’effectuer des analyses en temps réel et de produire ainsi des indicateurs de stress ou de croissance de l’arbre. De quoi surveiller de près un patrimoine arboré ancien et fragile, ou encore des arbres situés dans le périmètre de travaux de voirie susceptibles d’endommager leurs racines. Comme nous l’explique Théo Chabre, Ingénieur d’Affaires chez Urbasense, l’entreprise met également à profit sa solution pour des travaux plus expérimentaux…

Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous, en quelques mots, nous présenter Urbasense ?

Théo Chabre, Ingénieur d’affaires chez Urbasense

Théo Chabre : La société a été créée en 2015 par deux cofondateurs. Le premier s’appelle Thomas Bur. En tant que docteur en agronomie, il est le garant scientifique de l’entreprise. Le deuxième cofondateur s’appelle Michaël Fayaud. Il est quant à lui ingénieur ITIAPE².

L’entreprise a débuté en se concentrant sur un seul service : le suivi agronomique des plantations. Basé sur l’utilisation de sondes tensiométriques, ce premier service a pour but d’accompagner les villes, les métropoles, les entreprises et les aménageurs du territoire afin de mieux gérer la plantation d’arbres pendant la période de garantie, parachèvement et confortement. Ceci afin de réduire les consommations en eau, les tournées d’arrosage… mais aussi et surtout dans le but de permettre à l’arbre implanté en ville de vivre 30, 40 voire 50 ans, et non plus de mourir juste en fin de période de garantie, après seulement deux ans de vie.

Nous avons constaté que, là où il y a encore quelques années il était simplement demandé aux espaces verts d’être verts, on attend désormais d’eux qu’ils répondent à des enjeux techniques ; des enjeux d’infrastructures comparables à ceux des routes ou des réseaux. On parle donc désormais plutôt « d’infrastructures vertes » quand on confie à la nature une responsabilité technique pour mieux vivre en ville : structure des sols, pollinisation, biodiversité, atténuation des épisodes de canicule… Dès lors que l’on confie des enjeux techniques aux infrastructures vertes, on doit pouvoir faire en sorte de répondre à ces enjeux de façon sécurisée.

Urbasense a donc pris le parti d’élargir ses services pour mieux répondre à ces enjeux. Nous avons ainsi développé, à partir de fin 2020, l’utilisation des capteurs micro-dendrométriques ; en plus d’autres services tels que les études préalables de caractérisation agro-pédologique des sols, la gestion du patrimoine arboré…

Nous avons aujourd’hui entre trente et quarante dispositifs déployés sur le terrain ; nous sommes une vingtaine de salariés et comptons procéder à de nouvelles embauches à partir de septembre.

La station Minisense® permet de transmettre les données acquises sur le terrain à des serveurs distants, via un réseau radio.

Urbasense a donc pris le parti d’élargir ses services pour mieux répondre à ces enjeux. Nous avons ainsi développé, à partir de fin 2020, l’utilisation des capteurs micro-dendrométriques, en plus d’autres services tels que les études préalables de caractérisation agro-pédologique des sols, la gestion du patrimoine arboré…

Nous avons aujourd’hui entre trente et quarante dispositifs déployés sur le terrain ; nous sommes une vingtaine de salariés et comptons procéder à de nouvelles embauches à partir de septembre.

Que sont ces capteurs micro-dendrométriques que vous évoquez ? Comment ont-ils vu le jour et que permettent-ils de réaliser ?

Il s’agit de capteurs utilisés au départ – et depuis de nombreuses années – pour suivre la déformation des matériaux dans l’industrie. Ils permettent en effet de mesurer des micro-variations, c’est-à-dire des variations de taille de l’ordre du micron. Sur la base de ces capteurs, nous avons procédé à des tests et des essais pendant plusieurs années chez nos clients et avec l’appui de différents partenaires. À partir de là, nous avons pu procéder à l’industrialisation de ce qui n’était alors que de la recherche appliquée. Ceci afin de rendre ces capteurs utilisables, opérationnels, non plus simplement pour des besoins scientifiques, mais aussi pour les besoins de terrains d’arboristes, de paysagistes et de collectivités.

Placé sur un rameau, le capteur micro-dendrométrique mis en œuvre par Urbasense permet d’en mesurer les variations de diamètre, et ce à l’échelle du micron.

Concrètement, le capteur lui-même est connecté en filaire à un boîtier de télétransmission, la station Minisense®. C’est en fait notre data-logger³. On utilise ensuite un réseau radio pour pouvoir envoyer les données toutes les heures sur nos serveurs. Cela nous permet d’agréger de la donnée, comme nous le faisions déjà historiquement avec notre premier service de suivi tensiométrique. Fabriquée en France et garantie à vie, cette Minisense® peut être utilisée par les collectivités pour plusieurs usages, y compris en milieu urbain, par définition relativement hostile et rigoureux.

Le capteur micro-dendrométrique est quant à lui constitué d’une petite tige métallique posée sur un rameau, en surface. Rien ne pénètre à l’intérieur de l’arbre. Au moment de l’installation, un étalonnage est réalisé au pied à coulisse pour connaître le diamètre du rameau. À partir de là, on réalise des mesures toutes les heures, et ce 7 jours sur 7. On peut monitorer jusqu’à trois branches, que nous sélectionnons au préalable.

Une fois acquises, que deviennent ces données micro-dendrométriques ?

Les données sont transmises sur nos serveurs via le réseau radio. Cela permet de mettre à jour des graphiques et des indicateurs comme l’accroissement moyen. On observe l’équivalent du pouls de l’être humain. En fonction du jour et de la nuit et de l’ouverture des stomates, les cellules du rameau se gorgent en effet d’eau ou, au contraire, se vident. On obtient ainsi une cinétique. Cette variation micro-dendrométrique des rameaux nous permet d’effectuer des analyses en temps réel et de produire ainsi des indicateurs de stress ou de croissance de l’arbre. Cela permet, à la fin, de déclencher des expertises plus poussées d’arboristes et de dendrologues intervenant sur site. Ce qui rend cette solution complémentaire et utile aux expertises arboricoles, c’est la mise à disposition d’une mesure permanente de l’activité de l’arbre, alors que l’intervention de l’expert est souvent ponctuelle.

Dans quelles situations la mise en œuvre de ce dispositif peut-elle se révéler pertinente ?

En matière d’usages, il en existe aujourd’hui deux principaux, définis par nos utilisateurs eux-mêmes, notamment les villes qui nous avaient déjà fait confiance pour les suivis tensiométriques.

Le premier concerne le diagnostic du patrimoine arboré ancien. Typiquement : un vieux chêne un peu sénescent situé dans une cour d’école ou devant un bâtiment public, avec un risque de diminution de vigueur, de chute de branche voire de mortalité. Notre solution permet de surveiller et de faire un diagnostic de son état et de sa croissance. Nous avons par exemple suivi un hêtre à Bourges. Le genre Fagus⁴ a en effet un avenir assez sombre à cause du changement climatique. La ville cherchait à identifier des indicateurs précoces d’un éventuel dépérissement. Le projet a été lancé il y a un peu plus d’un an et est toujours en cours.

Nous avons aussi mis en œuvre notre solution pour un autre cas d’usage en lien avec le patrimoine arboré ancien, pour des arbres de quelques dizaines d’années : le suivi dans le cadre de travaux. Lorsque les arbres subissent des travaux proches de leur rhizosphère, la zone colonisée par leur système racinaire, il y a un risque de rupture d’une racine importante, ce qui pourrait endommager l’arbre. Dans un cas comme celui-ci, l’arbre va mourir, mais cela ne va se voir que 5 à 10 ans plus tard… Plus personne ne sera sur le chantier pour le constater. Notre outil est donc là pour permettre la mise en place d’actions correctives et compensatoires au moment des travaux. Cela permet aussi de prouver que l’arbre a subi un stress trop important et devra être abattu. Les capteurs micro-dendrométriques peuvent être installés six mois avant les travaux afin d’effectuer des mesures sur une saison végétative complète et obtenir des données de croissance de l’arbre. Ces données seront ensuite comparées à celles obtenues l’année suivante, au cours des travaux. On peut aussi équiper deux arbres différents, l’un subissant des travaux et l’autre servant de témoin.

Vous proposez un service d’interprétation. En quoi cela consiste-t-il ?

Nous fournissons un bulletin d’analyse mensuel, dans lequel nous reprenons sur la période analysée des courbes de température, la météo… que nous corrélons avec les variations micro-dendrométriques entre le jour et la nuit afin de définir si elles sont cohérentes avec la saison, ou au contraire insuffisantes. En plus du rapport mensuel, nous réalisons un bilan de fin d’année pour tous les sites suivis. L’objectif final est de pouvoir déclencher des visites de diagnostic sur site et d’agréger des conseils et expertises complémentaires.

À titre plus expérimental, nous avons aussi équipé de sondes tensiométriques différents platanes de la rue Garibaldi de Lyon : certains arrosés, d’autres non. Nous avons constaté qu’en période de canicule, les platanes non irrigués rafraîchissaient 50 % moins que leurs homologues irrigués. Le manque d’eau les pousse en effet à se mettre en repos, à fermer leurs stomates. Or, on attend désormais des arbres qu’ils soient des « climatiseurs urbains ».

En période de canicule, quand l’eau dans le sol était insuffisante, nous avons pu mesurer grâce aux sondes tensiométriques qu’un apport d’eau quelques jours avant l’épisode de forte chaleur permet à l’arbre de continuer à évapo-transpirer et donc de rafraîchir l’atmosphère de 0,4 à 0,6 degré mesuré, et même de 3 à 4 degrés ressentis. Même si cela reste expérimental, il y a ici un sujet à creuser… C’est un autre usage que nous pouvons développer.

Toujours avec la ville de Lyon, nous avons aussi mené une expérience sur des massifs situés aux pieds des arbres. Ces parterres étaient entourés de bordures. Une bordure sur deux a été retirée afin de permettre à l’eau pluviale de pénétrer la fosse de plantation. Nous avons monitoré deux arbres : l’un ayant bénéficié d’un retrait de bordures, permettant une continuité de l’apport en eau pluviale et l’autre resté tel quel, entièrement cerclé de bordures. Dès le démarrage, nous avons mesuré une différence de croissance entre ces deux sujets qui poussaient au départ exactement au même rythme. L’arbre, une fois reconnecté au réseau naturel d’eau pluviale, bénéficie d’une croissance plus importante.

Poursuivez-vous éventuellement d’autres travaux de R&D ?

Oui, absolument ! Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, mais nous avons effectivement une équipe R&D basée à Lyon qui travaille sur l’utilisation des data-loggers Minisense® avec d’autres capteurs, toujours dans le but de monitorer les infrastructures vertes et d’accompagner ainsi au mieux les différents acteurs sur tous les enjeux auxquels ils sont confrontés en matière de gestion des arbres en milieu urbain.


[1] Salon du végétal organisé à Angers les 13, 14 et 15 septembre 2022

[2] ITIAPE : Institut des techniques de l’ingénieur en aménagement paysager de l’espace, formation aujourd’hui assurée par l’ISA (Junia) de Lille.

[3] Enregistreur de données autonome, relié à un ou plusieurs capteurs à un rythme régulier, en vue de les transmettre à un serveur.

[4] Genre auquel appartient notamment le Hêtre commun

Pour aller plus loin

Posté le par Benoît CRÉPIN


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