Jean Bergougnoux présentait hier une synthèse du débat public consacré aux nanotechnologies. Le président de la CPDP en a profité pour rappeler les enjeux forts liés aux nanotechnologies, qui divisent aussi bien les spécialistes que le grand public. Retour sur cette réunion de clôture, et sur le débat qui s’en est suivi.
Alors que les débats autour des nanotechnologies, organisés dans toute la France, avaient donné lieu à de vives perturbations, c’est dans une atmosphère plus apaisée que la réunion de clôture s’est tenue hier soir. Jean Bergougnoux, président de la Commission Particulière du Débat Public (CPDP) consacrée aux nanotechnologies, a tout d’abord insisté sur la volonté de la commission, tout au long du processus, d’élargir au maximum le champ du débat (lire le dossier Nanotechnologies : quel potentiel, quelles limites ?). Tout en rappelant que sept ministères [1] étaient signataires de la saisine au départ, il a tenu à préciser qu’il « déplorait l’absence du Ministère de l’Intérieur et du Ministère de la Justice ». En effet, la CPDP a tenu à préciser que les compétences relatives à ces deux entités rendaient leurs implications dans le débat nécessaires, tôt ou tard.
Jean Bergougnoux a ensuite, pendant une trentaine de minutes, résumé quelle avait été la stratégie de la Commission pour mener à bien sa mission, en justifiant celle-ci point par point. Ainsi, tout en prenant en compte les critiques ( » il y a déjà plus de mille produits sur le marché, ce débat arrive trop tard « , » toutes les décisions sont déjà prises, ce débat n’est qu’une opération de communication « , le président de la CPDP s’est évertué à rappeler l’indépendance et la neutralité de la Commission, tout en répondant aux grandes questions soulevées lors des débats.
La méconnaissance du grand public
Tout d’abord, la Commission a souligné la méconnaissance globale du grand public vis-à-vis des nanotechnologies, qui rend le débat souvent compliqué. Aussi, au sujet du moratoire global, exigé par plusieurs associations, notamment Les Amis de la Terre et France-Nature-Environnement, Jean Bergougnoux a répondu sans détour, opposant deux arguments de poids :
- le potentiel économique lié à l’exploitation des nanotechnologies (un marché évalué à 1.000 milliards d’euros pour 2015) ;
- le temps nécessaire pour que la recherche scientifique évalue les impacts exacts des nanotechnologies. Ainsi, » l’arrêt des recherches nous exposerait à un grave péril dans un monde où les nanotechnologies continueront, quelles que soient nos décisions, à se développer « .
Ceci dit, Jean Bergougnoux a longtemps insisté sur la problématique des risques, d’un bout à l’autre de la chaîne de production. Pour les travailleurs, les recommandations de l’AFSSET semblent faire l’unanimité. En ce qui concerne les consommateurs, cela est plus complexe. Pour exemple, l’alimentation. Intervenant dans le débat, Patrick Lévy, Président du groupe santé-environnement du MEDEF a affirmé qu’il n’y avait « pas d’application nano dans l’alimentaire et dans le contact alimentaire « .
Au final, il se trouve que la silice alimentaire et l’argile nanométrique sont les deux seules nanoparticules présentes dans l’alimentation et les emballages alimentaires, et cela depuis de nombreuses années. Charles Perrin, de la CLCV, a ajouté que « certains frigos possèdent des nanoparticules anti-bactériennes », ce qui alors rend le contact alimentaire plus que probable. Ainsi, le moins que l’on puisse dire, c’est que rien n’est clairement tranché. La même confusion entoure le domaine des cosmétiques. Ces approximations participent à la crainte du grand public vis-à-vis du manque de connaissance et de recul sur les nanos.
Principe de précaution et enjeux économiques
Ressort alors le principe de précaution. José Cambou a affirmé ainsi que » la voix des scientifiques n’a pas été concordante durant les débats. D’autre part, nous manquons de tests, et nous n’avons pas les outils nécessaires pour le moment « .
Fût alors abordé le problème de la recherche en France et spécifiquement celui des études sur la toxicité (et l’écotoxicité) potentielle de certaines particules nanos.
Après qu’un professeur en toxicologie ait pris la parole pour mettre en avant la formation en France à ce niveau, Dominique Olivier (CFDT) rectifia : « la situation est inacceptable. Le règlement européen Reach a mis 15 ans à être mis en place. Nous avions à l’époque alerté sur les besoins en matière de recherche toxicologique. Aujourd’hui, devant la pénurie en termes de personnel et de moyens, nous sommes sûrs d’une chose. Nous n’avons pas tiré les leçons du passé ». Le silence des industriels par rapport à leurs projets en cours a également été soulevé et caractérisé comme un frein évident et un signe des disparités en matière de transparence au sein des différents acteurs.
Autre problématique abordée, celle de l’étiquetage : à ce sujet là également rien n’est tranché. Tout le monde est d’accord sur la pertinence d’un étiquetage précis permettant de lister les nanoparticules présentes dans un produit. Mais les avis divergent sur les travaux préalables (on a parlé de NanoReach !) à effectuer pour rendre cet étiquetage possible.
Réparation humaine, surveillance et écoute : la nécessité des barrières éthiques
Ainsi, on voit que le débat est loin d’être terminé. Après s’être arrêté sur les potentialités des nanotechnologies en termes de médecine, et notamment en ce qui concerne la recherche contre le cancer, a été évoqué le problème de l’éthique en tant que préalable aux avancées en matière de réparation humain et de surveillance. Alex Türk, président de la CNIL, a ainsi mis en garde l’auditoire, en prenant l’exemple des modalités de surveillance offertes par les nanotechnologies, à savoir la possibilité d’être écouté et filmé par des appareils extrêmement miniaturisés.
En prenant l’exemple du film La vie des autres, ou la Stasi surveille continuellement les faits et gestes du héros, Alex Türk déclarait qu’ » il y avait une possibilité d’insurrection contre la Stasi. Ici, il n’y a aucune possibilité d’insurrection contre l’infiniment petit « . Parallèle osé mais saisissant. D’où la nécessité, qui elle ne fait pas débat, de fixer un cadre éthique préalable à l’application des nanotechnologies à l’intérieur de certains champs. Même si, comme l’a souligné hier le Professeur Berger, cancérologue, à propose de la réparation humaine : » il faut veiller à ne pas faire de l’éthique avec des fantasmes « .
Enfin, Gérard Toulouse, professeur à l’ENS, a résumé admirablement l’enjeu autour des nanotechnologies dans l’Hexagone : » La confiance dans les nanotechnologie dépend des moyens qu’on donnera à la recherche publique pour faire son travail « .
Revenant sur les divisions autour des nanotechnologies, il a conclu » il y a la nécessité d’un débat en France sur la fuite en avant technologique « . A peine terminé, le débat ne fait donc que commencer ?
Pierre Thouverez
[1] Les sept ministères concernés :
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- Ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire ;
- Ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi ;
- Ministère du travail, des relations sociales ;
- Ministère de l’agriculture et de la pêche ;
- Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
- Ministère de la défense nationale ;
- Ministère de la santé et des sports.
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