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électronique de puissance, véhicule électrique

Interview

L’électronique de puissance au cœur des enjeux du véhicule électrique

Posté le par Séverine Fontaine dans Énergie

Le CEA et Valeo ont annoncé en septembre dernier une coopération dans le développement de composants de puissance pour la mobilité électrique de demain. L’occasion d’échanger avec un expert du CEA sur la technologie choisie et ses avantages.

Dans un véhicule électrique, l’électronique de puissance joue un rôle majeur. Elle pilote le moteur, gère l’énergie du véhicule et sa vitesse de recharge. Le silicium est le matériau utilisé historiquement pour la conversion d’énergie électrique. Et c’est justement sur le développement d’une technologie de composants d’électronique de puissance, le carbure de silicium (SiC), que le CEA et Valeo ont annoncé leur coopération en septembre dernier. Pour mieux comprendre le rôle de l’électronique de puissance et ses enjeux, ainsi que l’apport du SiC pour le marché automobile, nous avons échangé avec Philippe Despesse, adjoint aux programmes de la division Système au CEA-Leti.

Techniques de l’ingénieur : Quel est l’objet de votre collaboration avec Valeo ?

Philippe Despesse : Nous travaillons sur la chaîne de traction en y intégrant des composants de puissance en carbure de silicium (SiC) afin de tenir des tensions de batterie élevées. Le composant de puissance en SiC est ce qu’on appelle un composant « grand gap ». Ce composant a la faculté d’avoir un petit RDSON, c’est-à-dire une résistance à l’état passant très faible. Plus cette résistance est faible, moins il va chauffer. C’est comme un interrupteur électrique : lorsque vous l’allumez, sa résistance est proche de 0, il n’a ni chute de tension, ni échauffement. Et c’est ce que nous recherchons en électronique de puissance. Un composant « grand gap » a également la capacité de monter en fréquence, c’est-à-dire qu’il peut switcher de l’état passant à l’état coupant à des fréquences très élevées du fait de faibles pertes « de commutation ». À titre d’exemple, les transistors silicium montent à 20 kHz, les transistors « grand gap » peuvent aller jusqu’au MHz. Cela permet de réduire la taille des passifs sur la carte électronique : transformateur, inductance, condensateur, etc.

Quel est l’objectif de réduire le nombre de composants ?

L’objectif est de réduire à la fois le poids, l’encombrement et le coût de l’électronique de puissance. Cela représente environ 30 % de réduction. Et dans le véhicule électrique, il y a trois points majeurs de conversion. Depuis la borne de recharge qui peut être en AC ou DC vers le pack batterie du véhicule qui s’oriente de plus en plus vers une tension de 800 V DC. Depuis le pack batterie vers le moteur électrique en AC et sa chaîne de traction. Et depuis le pack batterie vers la batterie auxiliaire en DC 12 V pour alimenter les périphériques et le tableau de bord : phares, radio, calculateurs.

Les composants en SiC sont-ils déjà dans les véhicules électriques ?

Aujourd’hui, il y a beaucoup de composants de puissance en silicium ayant une capacité à supporter des hautes tensions. Ils coûtent moins cher, car les fondeurs ont poursuivi la bataille pour les maintenir à l’état de l’art et ils y sont relativement bien parvenus. C’est une vieille technologie éprouvée qui bénéficie de tous ses outils de production avec un coût amorti. Le silicium est donc très compétitif en volume. Quant au SiC, même si cela fait des années que l’on en produit (comme ST Microelectronics et d’autres fondeurs), il coûte plus cher et les volumes restaient jusqu’alors très limités. D’ailleurs, il arrive parfois que des constructeurs alternent composants silicium et SiC pour pallier la crise d’approvisionnement des composants. Des constructeurs automobiles haut de gamme intègrent déjà un boîtier de conversion standard avec une puce en SiC à l’intérieur. Mais le problème, c’est que le reste des composants (switchs, transformateurs, etc.) sont reliés de manière éclatée autour du boîtier et il perd en efficacité. Car plus les connexions sont longues, plus on a des pertes résistives et des points de fonctionnement dégradés, ce qui entraîne globalement une perte de rendement. À l’inverse, plus le boîtier est compact, dans un milieu optimisé, plus on aura un bon niveau de rendement accompagné potentiellement d’une montée en fréquence avec un routage optimisé. Donc l’idée est d’intégrer l’ensemble de ces composants à l’intérieur du boîtier, ou au maximum, pour gagner à la fois en place et en efficacité.

Et en puissance ?

L’augmentation de la vitesse de rotation des moteurs des voitures électriques permet d’augmenter leur densité de puissance. On peut monter jusqu’à des vitesses de rotation moteur de 20 000 tours/minute qui nécessite de facto d’augmenter la fréquence de sortie de l’onduleur. Ce moteur doit être par conséquent suivi d’un réducteur de vitesse afin que les roues du véhicule tournent à la bonne vitesse. Et il faut trouver le bon compromis entre le moteur, son convertisseur amont et le réducteur. Les composants SiC permettent de supporter des forts courants et des tensions supérieures à 1 000 V, ce qui leur permet d’être connectés en direct avec un pack batterie 800 V. Si un véhicule a une puissance de 250 kW, chaque phase de l’onduleur devra alors supporter des courants pic au-delà de 100 A, ce qui nécessite de paralléliser les transistors. Un des enjeux est également de réussir cette parallélisation et la synchronisation de ces switchs entre eux. Car si l’un d’eux est désynchronisé, il va alors devoir supporter tout le courant et casser.

Et c’est ce sur quoi vous travaillez…

Oui, nous travaillons sur cette mise en parallèle, sur l’augmentation des rendements, sur les technologies (matériaux et procédés de fabrication adéquats) et la prise en compte d’une intégration véhicule. Le rendement reste un élément majeur. Par exemple, si un convertisseur lambda a un rendement de 90 %, pour un moteur de 100 kW, ce sont 10 kW qui sont perdus dans la conversion de puissance. Ce qui nécessite de dissiper thermiquement ces 10 % avec un refroidissement liquide, compliqué à faire, qui augmente donc le coût, ajoute du poids dans le véhicule et diminue d’autant l’autonomie de ce dernier. L’idée d’utiliser du SiC, c’est de passer à 98 %. Et ainsi passer de 10 à 2 kW de perte, ce qui change tout. Quand on parle d’efficacité énergétique, c’est ça, l’impact est énorme. De plus, il ne faut pas oublier que ce qui est valable pour les onduleurs niveau moteur l’est aussi sur les deux autres convertisseurs du véhicule (chargeur et alimentation de la batterie de bord). Avec le cumul des trois, on récupère beaucoup d’énergie.

Il y a une autre technologie sur laquelle vous travaillez avec Valeo : les jumeaux numériques. De quoi s’agit-il ?

En effet, le jumeau numérique est précieux pour avoir une bonne appréhension du dimensionnement des composants et de l’efficacité globale du convertisseur. On peut ainsi changer l’architecture, les composants, leur positionnement, le PCB ou encore le packaging. On est capable de modéliser depuis le pack batterie jusqu’au moteur. L’avantage est à la fois d’être beaucoup plus rapide et efficace pour la conception en évitant des itérations inutiles et d’identifier très rapidement l’origine d’un problème constaté sur la maquette d’évaluation. La précision des modèles et le savoir-faire du CEA en électronique de puissance : les composants, le packaging, le test, la connaissance système sont des atouts majeurs pour accompagner les industriels sur leurs prochaines générations.

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Posté le par Séverine Fontaine


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