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Interview

Lumière sur la biodégradabilité du plastique en mer

Posté le par Matthieu Combe dans Chimie et Biotech

Pour combattre la pollution plastique en mer, il faut mieux comprendre la biodégradabilité des plastiques conventionnels. Il faut aussi développer de nouveaux polymères biodégradables en mer. Le chercheur Jean-François Ghiglione travaille sur ces deux aspects.

Jean-François Ghiglione

Jean-François Ghiglione est directeur de recherche au CNRS au laboratoire d’Océanographie Microbienne de Banyuls-sur-Mer. Sa spécialité est l’étude de la vie microbienne et des différentes espèces proliférant sur les plastiques dans l’eau. Il est cofondateur de la start-up Plastic@Sea.

Techniques de l’Ingénieur : Quelles recherches menez-vous en laboratoire et en mer ?

Jean-François Ghiglione : On peut montrer en conditions de laboratoire que la biodégradation des plastiques conventionnels existe. On a identifié des bactéries isolées du milieu marin, capables de dégrader du polyéthylène, l’un des polymères qui forme la plupart des emballages et qui est le plus retrouvé en mer. Mais en milieu naturel, la proportion de ces bactéries est très faible du fait de la compétition avec beaucoup d’autres bactéries. La dégradation dans le milieu naturel va être très longue et soumise à des caractéristiques très difficiles à prédire.

La dégradation des plastiques est tellement lente que l’on a du mal à prouver la biodégradabilité complète des plastiques conventionnels en laboratoire. Actuellement, nous menons des recherches très poussées qui utilisent du polyéthylène marqué avec des isotopes stables. Grâce à ce marquage, nous allons savoir à quelle vitesse et en quelles quantités ce polymère sera dégradé par les bactéries. Ce serait une première qui nous donnerait enfin une information en conditions réelles et non une estimation des temps de dégradation à partir de conditions de laboratoire. Et en utilisant des nouveaux outils qui permettent d’analyser l’ADN, nous saurons quelles sont les bactéries qui peuvent se nourrir de polyéthylène et étudier en détail les voies de biodégradation. Ce sont des recherches très attendues pour comprendre les mécanismes en jeu et pour avancer vers des solutions au niveau industriel.

Depuis 2014, il n’existe plus de norme officielle de spécification de biodégradation des plastiques en mer. Au sein du groupement de recherche Polymères et Océans regroupant plus de 200 scientifiques français et en lien étroit avec la start-up Plastic@Sea, nous sommes une dizaine de scientifiques à travailler sur la rédaction d’une nouvelle norme. Nous travaillons avec le Bureau de normalisation des plastiques et de la plasturgie (BNPP) pour élaborer cette norme afin de la faire valider ensuite par l’Afnor. Nous validons de nouveaux protocoles scientifiques pour prouver la biodégradabilité.

Qu’est-ce qu’un plastique biodégradable en mer ?

Le milieu marin est certainement le moins propice à la dégradation des plastiques, alors que la mer est le réceptacle final de tous les déchets. En général, quand un polymère est biodégradable en mer, il est aussi biodégradable dans les sols et dans l’air. Il faut donc que tout plastique risquant de se retrouver dans l’environnement soit biodégradable en mer.

Les conditions de compostage par exemple, sont très loin des conditions marines. Un compost industriel peut monter à plus de 70°C avec des communautés bactériennes très actives. Cela explique pourquoi certains plastiques biodégradables en compost comme l’acide polylactique (PLA) ne sont pas forcément dégradés dans l’environnement et encore moins en milieu marin. Certains polymères tels que les polyhydroxyalcanoates (PHA) ont la capacité d’être à la fois d’origine biosourcé, d’être compostable et de se biodégrader complètement en mer en quelques années. De tels polymères représentent un réel avenir pour de nombreuses applications, comme la cosmétique ou l’emballage.

Il est aussi important de s’assurer que le plastique biodégradable n’est pas toxique pour l’environnement. Pour cela, nous évaluons ensuite la toxicité avec une batterie d’organismes à différents niveaux de la chaîne alimentaire : algues, oursins, mollusques, poissons… Ces tests sont déjà normés pour prouver que l’on n’a pas de relargage de produits toxiques, qu’ils soient issus de la dégradation du polymère ou d’additifs qui peuvent se trouver dans les produits finis. Nous espérons que la norme sera prête d’ici deux ans.

Vous avez co-créé la société Plastic@Sea, spécialisée dans la biodégradabilité des plastiques en mer. Quelles sont ses recherches ?

Je me suis associé à l’actuelle présidente Leila Meistertzheim pour co-créer la société Plastic@Sea, dont l’objectif est de proposer aux industriels des solutions alternatives aux plastiques conventionnels. L’idée est de travailler avec les développeurs de nouveaux polymères pour fabriquer des nouveaux plastiques qui soient biodégradables en mer. Nous voulons relever tous les défis : que les polymères soient à la fois biosourcés, biodégradables, compostables si possible et qu’ils ne soient pas toxiques pour l’environnement. Nous testons actuellement la biodégradation en mer de nombreux produits finis fabriqués à base de PHA, et les résultats sont très encourageants.

Les bactéries feront-elles partie des solutions à la pollution plastique ?

Ma vision globale est assez pessimiste sur la biodégradation des plastiques qui sont aujourd’hui en mer. Les plastiques classiques sont faits pour durer, et effectivement ils vont mettre des dizaines voire des centaines d’années à se dégrader. Il ne faut pas confondre ce que l’on voit en laboratoire et ce qui se passe dans le milieu naturel. Par exemple, des chercheurs ont identifié une enzyme bactérienne qui dégrade le polyéthylène téréphtalate (PET) qui compose la plupart des bouteilles plastiques. Une application intéressante consisterait à mettre des enzymes sur des filtres en sortie de lave-linge pour dégrader les fibres libérées par le lavage de textiles synthétiques. Cela permettrait de réduire le nombre de fibres relâchés dans l’environnement. C’est une application possible pour éviter que les plastiques arrivent en mer, mais il n’y a cependant pas de solution miracle pour les tonnes de plastiques qui sont déjà dans les océans. Les applications restent mineures par rapport à l’ampleur de la pollution.

Les mécanismes de biodégradation en mer restent mal connus. En plus du vivant, il y a une dégradation qui n’est pas liée aux bactéries, telles que les ultraviolets ou l’abrasion… Les biologistes et les physiciens commencent à travailler ensemble pour mieux comprendre tous les phénomènes en jeu. Parfois, on découvre des nouveaux plastiques et même si on ne connait pas tous les processus dans le détail, on n’a pas forcément besoin de tout comprendre, ça marche !

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Posté le par Matthieu Combe


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