Quelques mots de contexte…
Nous sommes tous nés dans un contexte où les mesures paraissent exactes. En effet, dans notre vie quotidienne, la métrologie légale assure la loyauté des échanges commerciaux. Il suffit donc au primeur ou au pompiste d’annoncer la valeur mesurée du sac de tomates ou du plein de carburant pour établir votre facture. Dans ce monde des échanges commerciaux, on ne veut surtout pas évoquer une réalité pourtant inexorable : toutes les mesures sont fausses ! L’État garantit, via la métrologie légale, que la loyauté est respectée (les risques sont les mêmes pour le vendeur et pour l’acheteur) et la mesure peut, dans ce monde-là, se limiter à une valeur unique.
Nous vivons dans cet environnement depuis notre plus jeune âge et ce contexte a induit l’idée fausse, en chacun de nous, que les mesures étaient exactes… L’ISO 9000, dans ses premières versions, a bousculé cette certitude en exigeant (§ 4.11 de l’ISO 9001 – 1994) : « Les incertitudes sont connues et compatibles avec l’aptitude requise en matière de mesurage ». Cette exigence a, en quelque sorte, installé la métrologie dans le paysage industriel. Comme M. Jourdain fait de la prose sans le savoir, les industriels faisaient de la métrologie depuis toujours. On mesure et on contrôle tous les jours dans l’industrie pour réussir à produire, mais cet acte est aussi naturel que celui d’acheter des tomates ou de faire un plein. On ne se pose généralement pas de question, on utilise la valeur que l’instrument nous donne, dans une confiance quasi absolue. Mais la norme en demande plus et la certification a indirectement imposé la création d’un nouveau profil : le responsable métrologie. Ce professionnel a pour mission de gérer le parc d’instruments, un actif important, voire vital, pour l’entreprise, car c’est bien sur ce « parc » que repose l’ensemble des décisions qu’elle prend au quotidien.
Intuitivement « exacte » pour des raisons culturelles, la mesure est en réalité plus complexe qu’il n’y paraît. Le résultat d’une mesure est le fruit de la mise en œuvre d’un processus de mesure, tout comme une pièce industrielle est le fruit d’un procédé de production. Ces processus subissent inexorablement des aléas, et ces aléas se propagent dans les procédés et produisent un aléa sur le résultat. De ce fait, les pièces industrielles (ou toute autre entité manufacturée) ne sont pas toutes rigoureusement identiques, et c’est pourquoi les concepteurs prévoient une tolérance dans laquelle elles doivent se situer pour assurer leur fonction finale. Pour la mesure, cette dispersion inexorable est appelée « incertitude de mesure », et chacun comprendra que cette incertitude doit être « compatible avec l’aptitude requise en matière de mesurage », la norme avait bien raison sur ce point !
Malheureusement, les acteurs de la certification ont mal interprété cette exigence (elle était sans doute trop contre-intuitive) et le métrologue s’est donc souvent vu cantonné au rôle de gestionnaire des étalonnages/vérifications des instruments de mesure. C’est un peu comme si la norme avait demandé de s’assurer de la distance de freinage des véhicules et qu’on s’était limité à vérifier l’état des plaquettes de frein. Des plaquettes en bon état sont une condition nécessaire à un freinage efficace, mais chacun comprendra que ce n’est pas une condition suffisante. Si les pneus sont lisses et que la route est mouillée, de magnifiques plaquettes neuves ne changeront rien à la situation : le véhicule ne freinera pas bien !
La gestion d’un parc d’instruments impose donc, dans un premier temps, un état des lieux des mesures nécessaires au fonctionnement de l’entreprise, leurs impacts sur la production, l’identification des mesures critiques et de celles qui le sont moins, les mesures qui sont faites pour se rassurer et celles qui sont essentielles à la qualité produite…
L’entreprise n’a évidemment pas attendu un métrologue pour connaître les mesures dont elle avait besoin et pourquoi. Tous les services de l’entreprise ont défini et mettent en œuvre des processus de mesure, les besoins ayant émergé au fur et à mesure du temps qui passe, besoins évoluant au rythme de l’entreprise. Le métrologue doit donc, dans un premier temps, faire l’inventaire des mesures réalisées, de leur utilité, de leur impact potentiel, notamment dans le cas où elles seraient « trop fausses », des moyens de mesure dont les services disposent pour les réaliser… Il ne s’agit donc surtout pas, comme on le voit trop souvent, de se lancer tête baissée dans l’inventaire des instruments et dans la recherche d’une solution pour les étalonner, cette question ne viendra que dans un second temps.
Le métrologue doit prendre le recul nécessaire pour comprendre les enjeux de la mesure et des risques associés à chacune d’elles. Il ne s’agit pas forcément de faire de longs et fastidieux calculs statistiques, une approche pragmatique suffit le plus souvent. Une échelle de criticité de 1 à 3, voire 5, pour qualifier les enjeux liés aux mesures, une échelle de 1 à 3, voire 5 (risques importants, faibles, inexistants), sur la fiabilité des instruments de mesure (marque, âge, conditions d’utilisation), une échelle de 1 à 3, voire 5, sur la complexité de mise en œuvre de la mesure (usage facile, usage expert), ce qui induit des choses sur la formation des opérateurs en charge de les réaliser permet déjà de dresser un état des lieux. Cet état des lieux est indispensable à la définition d’une stratégie efficiente de gestion de cet actif « Parc des instruments de mesure ».
En outre, et pour les entreprises qui visent une certification ou une accréditation, le métrologue devra évidemment prendre en compte les exigences des référentiels concernés. Mais attention à ne pas les surinterpréter ! Depuis l’avènement de l’ISO 9001 par exemple, des pratiques coûteuses (car aveugles), telles que décrites ci-avant, se sont installées. En croyant bien faire, les métrologues se sont souvent inscrits dans des procédures de gestion très arbitraires (étalonnages calendaires et vérifications par rapport à des normes généralistes) parfaitement inefficaces, alors même que l’esprit de la norme n’était pas celui-ci. Il convient donc de le répéter : le métrologue est avant tout le garant de mesures adaptées quotidiennement à leurs contextes. Il n’est pas un gestionnaire « hors sol » de dates arbitraires ! Il participe, comme tous ses collègues, à l’obtention de la satisfaction des clients de l’entreprise avant celle d’un auditeur qui ne peut pas exiger plus que ce qui est formellement demandé par les normes de certification.