Avec ReFuelEU Aviation, l'UE s'est dotée d'un instrument politique qui vise à encourager le recours aux biocarburants. Leur production très limitée et leur coût élevé sont-ils compensés par de réels bénéfices environnementaux ? La question mérite d'être posée. La transition vers une industrie aérienne moins polluante s'annonce plus délicate que prévu.
Entré en application en début d’année, le règlement « ReFuelEU Aviation », composant essentiel du paquet « Ajustement à l’objectif 55 »[1], a pour objectif de fixer un cadre juridique pour assurer le déploiement des CAD[2] (SAF[3] en anglais). Ceux-ci comprennent les biocarburants[4] et les carburants de synthèse[5].
Avec ce règlement, les fournisseurs de carburant sont tenus d’incorporer un pourcentage minimal de CAD à partir de 2025 et, à partir de 2030, une part minimale de carburants de synthèse y sera aussi incluse. Les parts de CAD, conformément au calendrier progressif mis en place, augmenteront pour atteindre 2 % en 2025, 6 % en 2030 et 70 % d’ici 2050 dont 35 % de carburant de synthèse.
Sur le papier, « ReFuelEU Aviation » semble disposer de toutes les qualités pour concrétiser le « Pacte vert pour l’Europe »[6] : compatibilité des biocarburants avec les moteurs et infrastructures actuels[7] et promesse d’une réduction de 80 % des émissions de CO2. Mais derrière ce tableau idyllique se dessine une réalité plus complexe.
Une production insuffisante et un prix trop élevé
La trop faible production de CAD pèse sur la croissance du trafic à l’intérieur de l’Europe déjà moins élevée que le reste du monde. Dans un communiqué récent, Willie Walsh, le directeur de l’Iata[8], constate que même si les volumes de CAD doublaient par rapport à 2024 en atteignant 2 millions de tonnes (2,5 milliards de litres) en 2025, cela ne représenterait que 0,7 % de la consommation totale de carburant des compagnies aériennes.
Selon la Direction générale du Trésor, la production de CAD nécessaire pour atteindre les objectifs fixés est estimée à plus de 400 milliards de litres en 2050.
Même la faible production attendue pour cette année provoquerait l’ajout de 4,4 milliards de dollars à la facture de carburant avec des répercussions sur le prix des billets.
Le coût des carburants CAD reste, en effet, la question centrale en sachant que le prix du carburant représente la part la plus importante des coûts d’exploitation d’une compagnie aérienne. L’EASA[9] estime que le prix de vente d’une tonne de CAD est de 2 085 € ; c’est deux à trois fois supérieur au prix du carburant conventionnel qui affiche un prix de vente à 734 € la tonne.
Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Ce surcoût est-il compensé par un impact positif sur l’environnement ? La première étude en vol au monde sur l’impact de l’utilisation de CAD réalisée sur les deux moteurs d’un avion commercial est encourageante. Les résultats montrent une réduction significative des particules de suie et de la formation de cristaux de glace en traînée de condensation par rapport à l’utilisation de carburant conventionnel.
Concernant l’hydrogène renouvelable, le gain environnemental serait négligeable : le mélange à 1,2 % réduirait les émissions de CO2 d’environ 0,02 % seulement. Des réductions d’émissions neuf fois plus importantes pourraient même être observées si l’électricité renouvelable allouée pour l’aviation était redirigée vers d’autres secteurs tels que le chauffage résidentiel ou les véhicules électriques. Des ressources naturelles seraient donc détournées d’usages plus essentiels pour des bénéfices quasi nuls.
L’effet positif, difficile à évaluer pour le moment, devra, le cas échéant, être mis en rapport avec les investissements massifs qui sont requis pour lever les barrières technologiques freinant la production des biocarburants à grande échelle. En imposant des contraintes d’utilisation aux compagnies aériennes sans réunir les conditions de leur applicabilité et les preuves de leur efficacité, la Commission européenne ferait-elle de « RefuelUE » une simple manœuvre de communication politique ?
[1] Présenté par la Commission européenne le 14 juillet 2021, l’objectif est de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990
[2] Carburants d’aviation durable
[3] Sustainable aviation fuel
[4] Fabriqués à partir de la biomasse (résidus agricoles ou forestiers, algues, huiles de cuisson usagées…)
[5] Produits à partir de CO2 et d’hydrogène renouvelable
[6] Feuille de route environnementale présentée en 2019
[7] Contrairement à l’hydrogène qui nécessite des innovations de rupture
[8] Association internationale du transport aérien
[9] Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne
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