Docteur en biochimie et spécialiste de la recherche en oncologie passé notamment par le groupe Novartis, Francesco Hofmann est aujourd’hui vice-président et directeur de la Recherche et du Développement de la division Medical Care des Laboratoires Pierre Fabre. Un poste qu’il occupe depuis quelques années maintenant, au cours desquelles le directeur et son équipe ont pu assister et contribuer à l’accélération des découvertes de molécules aux propriétés anticancéreuses innovantes.
Fondés à Castres, dans le Tarn, en 1962, les Laboratoires Pierre Fabre œuvrent depuis la fin des années 1980 dans le domaine de la recherche et du développement de molécules thérapeutiques en oncologie. Des médicaments de chimiothérapie, d’abord, mais aussi, aujourd’hui, de nouvelles molécules plus efficaces et généralement mieux tolérées : les thérapies ciblées.
Constituant l’une des incarnations de la médecine de précision, cette approche suscite aujourd’hui un vif intérêt de la part des grands laboratoires pharmaceutiques, mais aussi d’une myriade de startups et de biotechs. Outre son travail de R&D interne, mené au sein de l’Oncopôle de Toulouse, le groupe Pierre Fabre mise sur l’acquisition ou l’établissement de partenariats stratégiques avec des jeunes pousses et entreprises du monde entier. Une stratégie qui lui a permis, au cours des dernières années, de considérablement étoffer son portefeuille de traitements innovants contre différents types de cancer. C’est ce que nous explique Francesco Hofmann, vice-président et directeur R&D de la division Medical Care des Laboratoires Pierre Fabre, qui nous éclaire au passage sur l’évolution plus globale d’un domaine en plein essor.
Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous, pour commencer, nous retracer brièvement le parcours qui vous a conduit à rejoindre le groupe Pierre Fabre, en 2021 ?

Francesco Hofmann : J’ai effectivement rejoint les Laboratoires Pierre Fabre il y a presque quatre ans maintenant, en tant que directeur R&D de la division pharmaceutique du groupe, qui comprend également une division dermo-cosmétique.
Avant cela, j’ai notamment travaillé une vingtaine d’années chez Novartis, où j’ai occupé différents postes liés à la recherche en oncologie, et notamment, pour le plus récent d’entre eux, celui de responsable au niveau mondial de la découverte de médicaments.
Avant de rejoindre Novartis, j’ai passé quatre ans au Dana-Farber Cancer Institute de la Harvard Medical School, à Boston, où j’ai mené des travaux de recherche sur le cancer.
Quant à ma formation initiale, j’ai étudié la biochimie, puis obtenu un doctorat dans ce domaine à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH), en 1993. Je suis d’ailleurs originaire de Suisse, et plus précisément de sa partie italophone.
Quelle importance la recherche en oncologie revêt-elle pour les Laboratoires Pierre Fabre ?
L’oncologie est un domaine clé pour la division pharmaceutique du groupe Pierre Fabre, et ce, depuis ses débuts, il y a plus de 30 ans maintenant. Le domaine était alors essentiellement centré sur la chimiothérapie. Le laboratoire a ainsi notamment contribué au développement de molécules thérapeutiques telles que la vinorelbine (Navelbine®), toujours utilisée aujourd’hui.
À la fin des années 2010, Pierre Fabre a pris un tournant, en se lançant dans le domaine des thérapies ciblées, aux côtés tout d’abord d’Array BioPharma, puis de Pfizer, qui l’a en effet acquise en 2019. Ensemble, nous avons ainsi co-développé et mis sur le marché deux premières molécules de thérapie ciblée : l’encorafénib et le binimetinib, qui ciblent respectivement les gènes codant pour les protéines B-RAF et MEK.
L’association de ces deux molécules a d’abord été approuvée pour le traitement du mélanome chez les patients porteurs d’une mutation du gène BRAF, un sous-ensemble important, au sein duquel cette association s’est révélée très efficace.
Elle a également été approuvée plus récemment, en 2024, pour traiter un autre type de cancer – le cancer du poumon non à petites cellules – chez des patients porteurs de cette même mutation du gène BRAF. Elle s’est là aussi révélée efficace.
Enfin, l’encorafénib est également approuvé pour traiter les patients porteurs d’une mutation du gène BRAF et atteints d’un cancer colorectal ; en association, cette fois, avec un anticorps monoclonal chimérique ciblant le récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR[1]) : le cétuximab.
Ces molécules et cette palette d’indications que je viens de décrire illustrent ainsi tout l’enjeu de cette approche en plein essor que sont les thérapies ciblées : sélectionner une population précise de patients porteurs d’une anomalie génétique spécifique, auxquels on administre alors un traitement pensé, justement, pour être aussi spécifique que possible sur cette cible. Il s’agit d’un vrai changement de paradigme.
Notre portefeuille commercial dans ce domaine ne cesse ainsi de s’étoffer, au travers de partenariats tels que celui que nous avons noué avec la société américaine Puma Biotechnology, ou encore de l’accord que nous avons signé avec Atara Biotherapeutics, qui nous a permis de faire notre entrée dans le domaine des thérapies cellulaires. Ce projet est aujourd’hui en phase de commercialisation.

Quelles sont, aujourd’hui, vos missions en tant que directeur R&D de la division Medical Care des Laboratoires Pierre Fabre ?
J’ai rejoint le groupe avec pour principale mission de repenser l’organisation de la R&D, en vue notamment de restructurer notre portefeuille de produits. C’est sur cette base que j’ai élaboré un plan stratégique quinquennal, centré sur la constitution d’un portefeuille couvrant l’oncologie, mais aussi la dermatologie et certaines maladies rares.
Pour mener à bien cette feuille de route, nous avons bien entendu fait appel à nos équipes de développement commercial, afin d’identifier avec elles de nouvelles opportunités, tant au stade clinique que de la recherche.
Cela nous déjà conduit à intégrer à notre portefeuille, au cours des deux dernières années, quatre nouvelles molécules dans le domaine des thérapies ciblées en oncologie. Deux d’entre elles – deux molécules ciblant de manière sélective des mutations du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR) que j’évoquais précédemment – sont le fruit d’un partenariat noué avec Scorpion Therapeutics. Elles font actuellement l’objet d’études cliniques chez l’humain.
Nous avons également réalisé plusieurs acquisitions : celle de Vertical Bio, à l’origine du développement d’une molécule thérapeutique très innovante destinée à des patients souffrant d’un cancer du poumon non à petites cellules et présentant une altération du récepteur MET ; ou encore celle des actifs de Kinnate Biopharma, qui a quant à elle mis au point l’exarafénib, un inhibiteur dit « pan-RAF », complémentaire à l’encorafénib que j’évoquais précédemment. Nous envisageons ainsi de poursuivre le développement de ce traitement en ciblant un sous-groupe différent de patients atteints de mélanome ; des patients porteurs d’une mutation du gène NRAS cette fois, et non BRAF. Nous travaillons actuellement à l’optimisation de la posologie et du schéma thérapeutique de l’exarafénib, utilisé en association avec l’inhibiteur d’activité de la protéine MEK que j’évoquais au début de notre entretien, le binimétinib.
Voilà donc les pistes que nous explorons pour étoffer notre portefeuille en matière de traitements au stade clinique.
Sur le plan de la recherche, nous avons pris la décision stratégique de renforcer notre équipe en interne, afin de pouvoir nous concentrer sur la compréhension des mécanismes biologiques des cancers, et sur les aspects translationnels. Nous envisageons par ailleurs également de collaborer avec des biotechs innovantes pour la fabrication de nos futures molécules thérapeutiques.
Nous avons ainsi d’ores et déjà conclu deux partenariats. Le premier, avec la société britannique Vernalis, spécialisée dans la découverte de médicaments basés sur de petites molécules dans le domaine de l’oncologie. Le second, tout récemment, avec l’entreprise suisse RedRidge Bio, spécialiste notamment des anticorps biparatopiques (ABP). Il s’agit d’anticorps capables de reconnaître deux parties distinctes d’un antigène, contrairement aux anticorps conventionnels, qui ne possèdent quant à eux qu’un seul site de fixation. Cela se traduit ainsi par une affinité et une efficacité accrues. Cela ouvre la voie à la découverte de nouveaux traitements en oncologie, mais aussi en dermatologie ou dans le domaine des maladies rares.
Si la recherche en oncologie représente aujourd’hui une large part de nos travaux de R&D, nous visons en effet également, comme je l’évoquais précédemment, le développement de notre portefeuille de traitements au stade clinique dans les domaines de la dermatologie et des maladies rares.

Votre laboratoire R&D est implanté au sein de l’Oncopôle de Toulouse. Pour quelles raisons ?
Ce choix d’installer notre équipe R&D à l’Oncopôle de Toulouse est motivé par plusieurs facteurs.
Outre le fait qu’il nous ait permis de regrouper nos équipes en un seul et même lieu, ce site nous a d’abord séduits pour les possibilités qu’il offre en matière de partenariats, notamment avec d’autres laboratoires R&D qu’il accueille.
De plus, ce lieu facilite grandement nos interactions avec le monde universitaire, notamment via l’Institut universitaire du Cancer, situé à quelques pas seulement de notre laboratoire, au sein du campus Santé du Futur. Cet écosystème académique nous permet d’ailleurs également d’accéder à un vivier de talents particulièrement riche, indispensable pour étoffer notre équipe.
Parallèlement à toutes ces nouvelles approches thérapeutiques que vous évoquiez, un changement majeur est en train de s’opérer dans le domaine de la recherche pharmaceutique : l’utilisation de modèles d’IA… Quelle importance ce champ technologique en plein essor revêt-il à vos yeux ?
L’arrivée de l’IA dans notre domaine transforme évidemment en profondeur notre façon de faire. Je ne vois toutefois pas l’IA comme quelque chose susceptible de tout remplacer, mais plutôt comme un moyen d’adopter des approches nouvelles en matière de R&D. Prenons l’exemple de la découverte de médicaments : des approches basées sur l’intelligence artificielle, et plus particulièrement l’apprentissage automatique, peuvent déjà être mises au service de l’identification et de l’optimisation de petites molécules. Auparavant, il nous fallait synthétiser de multiples variantes de ces petites molécules, avant de les tester en laboratoire… Ce qui demandait évidemment du temps et beaucoup de ressources. Aujourd’hui, des modélisations in silico nous permettent de tester des milliers, voire des centaines de milliers de variantes, et de ne sélectionner ainsi que les plus prometteuses, avant de les synthétiser pour de bon et de les tester en laboratoire.
Cela augure naturellement une accélération de la recherche pharmaceutique, mais va également nous permettre d’explorer des approches qui nous semblaient jusqu’alors inaccessibles. Je pense notamment à certaines cibles à la structure tridimensionnelle complexe et mal comprise. Des modèles d’IA permettent en effet de simuler leur structure in silico, et, ainsi, de réaliser un criblage préalable nous permettant de ne choisir que quelques candidats médicaments potentiels.
Du côté de la recherche clinique, l’IA nous semble également un moyen de parfaire la sélection des patients participant à nos études cliniques.
Enfin, les algorithmes d’IA pourraient également nous permettre d’accélérer certaines tâches liées à des aspects réglementaires de la recherche clinique, en automatisant par exemple la rédaction de certains documents, ou en nous aidant à saisir et à analyser certaines données.
Ce vaste champ qu’est l’IA est donc incontestablement en plein essor dans le domaine de la recherche pharmaceutique. Je pense d’ailleurs qu’en la matière nous n’en sommes qu’au début d’une nouvelle ère.
Cela ne pourrait-il pas aussi, in fine, permettre de réduire le coût des traitements ?
C’est une bonne question… De toute évidence, les investissements nécessaires à la découverte et au développement de nouveaux traitements vont rester importants, au vu notamment de la complexité des technologies mises en œuvre. Il est ainsi peu probable que ces coûts diminuent drastiquement à l’échelle d’un projet de recherche en particulier, bien que le temps pour le mener à bien soit amené à se réduire.
En revanche, toutes ces nouvelles approches que j’évoquais pourraient bien nous aider, plus globalement, à réduire le taux d’échec… Ce qui pourrait, mécaniquement, nous permettre de mener à bien davantage de projets avec un même budget.
Une dernière question, sans doute un peu naïve… Pensez-vous que toutes ces avancées que vous venez de nous décrire pourraient un jour nous permettre de guérir, sans exception, tous les patients atteints de cancers, quels qu’ils soient ?
Cela me semble difficile à prédire… Il faut garder à l’esprit le fait qu’il existe une multitude de types de cancers, qui ont en outre la faculté d’évoluer en réponse aux médicaments. Cela implique ainsi de mettre en œuvre sans cesse de nouvelles générations de traitements. Je pense cependant que toutes ces avancées que j’ai décrites permettront de réduire le temps qui s’écoule entre la découverte d’un candidat médicament et son approbation définitive à l’issue d’études cliniques. Cela devrait ainsi permettre, je pense, à un plus grand nombre de candidats médicaments d’atteindre le stade clinique en un temps donné. Je suis convaincu que cette évolution permettra de traiter un plus grand nombre de tumeurs différentes, avec en outre, espérons-le, un meilleur profil d’efficacité, de sécurité, mais aussi de tolérance.
[1] Epidermal growth factor receptor.
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