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Décryptage

Bioéthique et santé : revue express des biotechnologies phares

Posté le par Intissar EL HAJJ MOHAMED dans Innovations sectorielles

Séquencer les gènes à la demande, bricoler des organes sur des puces, ou encore éditer le génome humain… Les biotechnologies progressent-elles à pas de géant ? En ce début d’année 2021, nous avons choisi de revenir sur quelques avancées biotechnologiques majeures de ces 20 dernières années et sur les questionnements bioéthiques qu’elles provoquent.

2020 aura été une année… particulière. Une pandémie doublée d’une crise économique et couronnée par une série de confinements : ce sont là les ingrédients parfaits pour revisiter le passé. Chez Techniques de l’Ingénieur, le coup de blues ne nous a pas laissés indifférents.

Et à année spéciale, sujet spécial. Petit tour des biotechnologies rouges (comprendre : spécifiques au domaine de la santé) les plus prometteuses de ces 20 dernières années ! Et si le troisième millénaire n’a jusqu’à présent été que trop généreux, ne perdons pas de vue les perspectives bioéthiques.

Le dilemme 23andMe 

En 2006, une biotech parmi tant d’autres voyait le jour en Californie. Mais la promesse de 23andMe n’est pas passée inaperçue : proposer des tests génétiques aux particuliers. Découvrir ses origines ancestrales contre un simple échantillon salivaire et 99 $ ? Un marché qui s’est vite avéré gagnant. En 2019, 23andMe pouvait se targuer d’un chiffre d’affaires de 475 millions de dollars. Son offre s’est diversifiée depuis quelques années et inclut désormais des dépistages génétiques liés à la santé.

Cependant, les tests génétiques « récréatifs » sont toujours interdits en France. Ce qui, selon le magazine de l’Inserm, n’empêche pas 100 000 à 200 000 personnes à y recourir chaque année en faisant appel à des entreprises internationales (comme 23andMe, et ses concurrentes MyHeritage DNA ou AncestryDN, entre autres).

Pour Bernard Baertschi, chercheur en philosophie et éthique à l’université de Genève, interrogé par le magazine de l’Inserm : « Quel est le risque psychologique de recevoir de simples informations chiffrées sans accompagnement médical ? L’être humain ne sait pas bien décider en situation d’incertitude. »

Toujours est-il qu’aux Etats-Unis, les bases de données d’ADN humain, précieux répertoires de patrimoine génétique, ont été cruciales dans l’identification et la capture de serial killers longtemps restés anonymes ! Faut-il pour autant, par respect de la vie privée, en brider l’utilisation ?

Les « ciseaux moléculaires » 

CRISPR-Cas9, surnommée technique des « ciseaux moléculaires », permet de couper l’ADN avec une précision inédite. Si bien qu’en octobre 2020, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, les découvreuses de cette méthode d’édition du génome, ont été récompensées du prix Nobel de chimie.

Développée en 2012, cette technologie ouvre la voie à des applications médicales auparavant inespérées. Néanmoins, des voix n’ont pas tardé à se lever contre d’éventuelles dérives bioéthiques, plus particulièrement concernant un risque potentiel de modification génomique sur les embryons ou les cellules germinales.

Les sonnettes d’alarme ont retenti de plus belle quand, en 2018, sont nés en Chine deux bébés dont les génomes ont été modifiés par Crispr-Cas9. Un an après la naissance des jumelles Lulu et Nana, The Guardian a donné la parole à la biologiste moléculaire et maîtresse d’enseignement en bioéthique Natalie Kofler (Université de Yale et Harvard Medical School) : « Crispr a le pouvoir de changer à jamais l’histoire de l’humanité, faisant ainsi de son utilisation éthique la responsabilité de chacun. En tant que citoyens, nous devons faire pression pour que les doyens des facultés de médecine, les professeurs, les responsables des subventions, les rédacteurs en chef des revues scientifiques, les responsables de la réglementation et ceux qui conçoivent les directives mondiales en matière de recherche viennent d’horizons très divers. »

Et alors que le but derrière cette expérience décriée était de rendre les nouveaux-nés génétiquement résistants au VIH, le MIT Technology Review a révélé en décembre 2019 que rien n’en démontre le succès. Crispr-Cas9 avait donc bein généré des mutations, mais qui auraient – ou pas ! – conféré une résistance au VIH…

Faire pousser des organes, sur des puces 

En septembre 2020, Techniques de l’Ingénieur vous expliquait comment des chercheurs français travaillent au développement de tissus et d’organes sur des puces microfluidiques. Ces constructions physiologiques, capables de mimer les fonctions naturelles observées in vivo, sont une alternative éthique intéressante aux expérimentations sur les animaux.

Ainsi, Xavier Gidrol (CEA, Inserm et Université Grenoble-Alpes), directeur de recherche à la tête d’un projet de pancréas-sur-puce, interrogé dans notre article, détaillait : « Un problème majeur aujourd’hui est l’attrition [également appelée ‘taux d’abandon’, elle correspond à la perte de participants dans un essai clinique, NDLR], et une de ses raisons est l’inadéquation des modèles animaux qui ne sont pas toujours pertinents d’un point de vue scientifique ou bien acceptés d’un point de vue éthique. Les organes sur puce comblent ce vide car ils constituent des modèles plus pertinents pour les tests médicamenteux, en espérant qu’on obtiendrait ainsi moins de rejets et de déchets. »

Le Wyss Institute, à Harvard, est le laboratoire précurseur de la technologie des organes sur puces. C’est en 2010 qu’il avait publié dans Science les résultats de ses travaux sur la synthèse d’un poumon-sur-puce.

Néanmoins, la recherche clinique ne semble pas prête pour abandonner de sitôt les cobayes au profit d’organes sur puces. Clément Quintard, doctorant en microfluidique au CEA-Leti, écrit dans The Conversation : « Il faut encore confirmer sur le plan scientifique leur pertinence par rapport aux modèles animaux employés à l’heure actuelle. De plus, les organes sur puce et la microfluidique en général sont encore trop souvent difficiles d’utilisation. »

Dr. IA

Nous avons triché, car étymologiquement ceci n’est pas une biotechnologie mais une technologie appliquée à la santé. L’intelligence artificielle comme outil d’aide au diagnostic a fait ses preuves. Comme le rappelle le journal du CNRS, l’IA de deep learning « Show and Tell », élaborée par Google et entraînée pour légender automatiquement des images, était parvenue en janvier 2017 à repérer sur la peau 90 % des taches bénignes dans 130 000 images analysées, alors que les dermatologues n’en avaient reconnues que 76 %.

Du côté rival, IBM, de part sa division IBM Watson dédiée à l’IA, a créé une branche « Health » consacrée à la santé dont notamment l’imagerie médicale. Mais les multinationales de la tech, dont nous n’avons cité que deux noms, ne sont pas les seules sur le marché… Baignées dans cet engouement général, de nombreuses start-up santé bourgeonnent un peu partout (la France n’y fait pas exception) et essaient de rattraper le train en marche de l’IA, avec plus ou moins de succès.

En dépit des attentes optimistes liées aux algorithmes dans le secteur médical, des institutions invitent à la prudence quant au traitement et à la récolte des données. Ainsi, dans son avis paru en mai 2019, le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) estime que  « les résultats obtenus ne peuvent être évalués et validés que par une garantie humaine, condition d’une responsabilisation des acteurs », précisant que cette garantie « devrait être assurée par des instances indépendantes de contrôle ».

Et que faire quand l’IA se trompe ? À qui revient la responsabilité de l’erreur médicale ? Pour le magazine en ligne Quartz, la réponse est floue. Le média évoque le cas Da Vinci, le robot chirurgien : plusieurs plaintes ont été émises à l’encontre de Surgical Inc., le fabricant, après que Da Vinci ait brûlé des patients ou encore après que des pièces détachées du robot soient tombées (et retrouvées) dans le corps de patients… Ici, le verdict est clair : le fabricant est responsable. Mais qu’en est-il des IA alimentées de données racialement biaisées et dont les diagnostics se trouvent faussés par la couleur de peau du patient ? Qui est responsable : l’entreprise manufacturière ou le médecin qui a accepté le diagnostic ? La question reste ouverte.

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