C’est l’un des sujets polémiques du moment. Depuis plusieurs semaines, le ministre de l’Économie et des Finances, Éric Lombard, appelle les patrons français à faire du patriotisme économique. En clair, il demande aux dirigeants de suspendre leurs investissements aux États-Unis et de faire bloc devant la pression américaine pour que l’Europe pèse dans les négociations. Un message qui passe assez mal auprès des entreprises, déjà fragilisées par le contexte économique.
Dans un entretien pour La Tribune Dimanche, Éric Lombard a déclaré : « Nous sommes dans une bataille qui vise en réalité à nous affaiblir. Nous devons protéger le modèle européen. Alors, oui, j’en appelle au patriotisme des chefs d’entreprise ».
Le patriotisme économique – ce qu’il est, ce qu’il n’est pas
Bien que l’on en parle beaucoup ces derniers temps, cette question du patriotisme économique revient régulièrement sur la table, depuis que ce concept a été porté par Dominique de Villepin en 2005. Et déjà, à l’époque, il faisait polémique, car associé à de l’isolationnisme.
20 ans plus tard, alors que l’Europe se retrouve au beau milieu d’une guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine et doit plus que jamais protéger son économie et ses emplois, l’idée d’un patriotisme économique revient sur la table. Mais comment défendre les intérêts des entreprises françaises, sans les pénaliser à l’international ?
Dans le journal Marianne, Éric Delbecque, expert en intelligence économique et stratégique, donne sa vision du patriotisme économique. Selon lui, le patriotisme économique doit viser « la préservation du périmètre économique stratégique de souveraineté, la vitalité et le développement des territoires, la construction d’une véritable Europe puissance. »
En revanche, ce patriotisme ne peut pas être « un repli sur soi nationaliste, un dispositif protectionniste, le prétexte d’un interventionnisme désordonné, ou d’une bureaucratie numérique envahissante et inefficace. »
Par ailleurs, comme le dit Éric Delbecque, ce patriotisme économique doit aussi faire naître une « culture de la réussite et de la puissance nationale et européenne qui dépasse l’absurde clivage public/privé et donne corps au projet d’Europe des nations. »
Protéger l’économie européenne sans faire de l’isolationnisme est un défi
Éric Lombard en appelle donc au « patriotisme des chefs d’entreprise », une formule déjà employée par le passé, par Bruno Le Maire et Arnaud Montebourg, chaque fois qu’il s’agissait de communiquer sur la défense de l’économie française.
Néanmoins, ces efforts demandés aux entrepreneurs sont malheureusement en décalage avec la situation actuelle des entreprises, dont les difficultés s’accumulent. Car pour elles, il est extrêmement difficile de peser face à la Chine et aux États-Unis. C’était déjà le cas avant 2025 (coût de l’énergie élevé[1], réglementations trop contraignantes…), mais la situation risque d’empirer si le déferlement annoncé de produits chinois sur le marché européen se produit bel et bien.
Alors, plutôt que de convaincre les entreprises de ne pas investir aux États-Unis, la meilleure façon de protéger les intérêts de l’Europe n’est-elle pas plutôt de renforcer nos entreprises, en leur offrant les moyens de se défendre ? Notamment par un assouplissement des charges administratives, qui coûtent à l’UE chaque année 10 % du potentiel de son PIB, selon Mario Draghi.
Trump, une opportunité pour l’Europe ?
Bernard Cohen-Hadad, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises d’Île-de-France (CPME), voit même la politique de Trump comme une « formidable opportunité pour l’Euro, l’Europe, les entreprises françaises et européennes ».
Pourquoi affirme-t-il cela ? Parce que Trump nous pousse dans nos retranchements. Il nous oblige à protéger notre zone de libre-échange et « à prioriser le travail alors qu’il y a trop de bureaucratie en Europe ».
Bernard Cohen-Hadad n’est d’ailleurs pas le seul à voir la politique de Trump comme une opportunité. Car, si les mesures protectionnistes de Trump ont pour but de renforcer l’économie américaine, il est fort probable que l’effet inverse se produise.
Selon le cabinet JPMorgan, le pays entrera d’ailleurs en récession en 2025, de manière quasi certaine. C’est aussi l’avis du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, qui qualifie cette politique de « tragédie pour l’économie américaine ».
Pour l’Europe en revanche, la période de turbulences actuelle pourrait bien être temporaire. Mais tout dépendra de la capacité de l’UE (et de la France) à réagir de manière intelligente et mesurée, face au chaos provoqué par Trump.
Les dernières décisions de l’UE semblent d’ailleurs aller dans ce sens, puisque le commissaire à l’économie européen s’accroche toujours à un accord gagnant-gagnant entre l’UE et les États-Unis, tout en se tenant prêt à riposter aux droits de douane américains.
Dans ce contexte de guerre commerciale, brandir le patriotisme économique apparaît donc comme une manière de montrer les muscles, plutôt qu’un réel appel aux armes.
[1] Le prix de l’électricité a été multiplié par 5 en Europe entre 2019 et 2023
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