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Interview

« L’eau du robinet reste l’aliment le plus contrôlé »

Posté le par Pierre Thouverez dans Chimie et Biotech

La potabilisation de l’eau a permis, au XXe siècle, d’éradiquer de nombreuses maladies d’origine hydrique et reste un pilier des politiques de santé publique.

Mais face à l’évolution des modes de vie et à l’intensification des pollutions industrielles et agricoles, les filières de traitement sont aujourd’hui confrontées à de nouveaux contaminants : nitrates, résidus de pesticides, micropolluants émergents et surtout PFAS, ces « polluants éternels » dont la réglementation progresse petit à petit. Ces substances posent des défis technologiques et réglementaires de taille, tout en interrogeant sur la résilience des ressources en eau dans un contexte de changement climatique et de stress hydrique. Dans cet entretien pour les Techniques de l’Ingénieur, Julie Mendret, maîtresse de conférence à l’université de Montpellier, chercheur à l’institut européen des membranes et également à l’origine d’un serious game sur la potabilisation et l’assainissement de l’eau, détaille les enjeux liés à la potabilisation de l’eau.

Techniques de l’Ingénieur : Quels sont aujourd’hui les principaux polluants préoccupants pour la potabilisation de l’eau ?

Julie Mendret : Les problématiques restent multiples. Les nitrates, liés essentiellement aux pratiques agricoles, demeurent un enjeu majeur. Mais les préoccupations actuelles portent surtout sur les micropolluants organiques, c’est-à-dire les pesticides, leurs produits de dégradation (métabolites), ainsi que de nouvelles familles de contaminants comme les PFAS. Ces derniers regroupent des milliers de molécules fluorées, extrêmement persistantes et mobiles, dont certaines, comme le PFOA ou le PFOS, sont désormais interdites mais toujours présentes dans l’environnement. Les microplastiques et les nanoplastiques, bien que de plus en plus étudiés, ne sont pas encore intégrés à la réglementation pour l’eau potable. Leur détection est complexe, car elle dépend de méthodes analytiques encore en cours de normalisation.

Depuis combien de temps la présence des PFAS dans les eaux potables est-elle documentée ?

En France, le sujet est émergent. La présence des pesticides et de leurs résidus dans l’eau sont documentés depuis plus de vingt ans, mais pour les PFAS, la surveillance ne date que de quelques années. À l’échelle réglementaire, une liste de 20 PFAS sera intégrée aux contrôles obligatoires d’ici 2026. Mais cette liste est réductrice : elle a été construite en sélectionnant les molécules les plus fréquemment détectées, ce qui signifie que d’autres PFAS, comme le TFA, pourtant omniprésent, restent exclus du futur cadre réglementaire. Ce qui pose problème.

Quelles sont les technologies utilisées pour potabiliser l’eau et éliminer ces contaminants ?

Les filières de base reposent historiquement sur la coagulation, la décantation et la filtration sur sable. Ces procédés sont efficaces pour éliminer les matières en suspension et une partie des pathogènes, mais ils ne permettent pas d’éliminer les micropolluants dissous. Pour cela, on ajoute des étapes de traitement avancées : adsorption sur charbon actif, filtration membranaire (nanofiltration, osmose inverse) et procédés d’oxydation.
La filtration membranaire, par exemple, est performante pour retenir les micropolluants et les PFAS, mais elle génère un rejet concentré en polluants qui doit être traité. D’où la nécessité de coupler séparation et dégradation, par exemple en combinant une étape membranaire avec une oxydation avancée capable de casser les liaisons chimiques très stables de ces molécules fluorées.

Quelles sont les innovations notables en potabilisation de l’eau ces dernières années ?

L’innovation ne repose pas aujourd’hui sur la création d’un procédé entièrement nouveau, mais plutôt sur l’hybridation et l’optimisation des procédés existants. On cherche à concevoir des filières combinées qui assurent à la fois la séparation et la dégradation des polluants. La recherche porte aussi sur le traitement des concentrats générés par les membranes, qui représentent une fraction polluée très problématique. Ne plus se contenter de rejeter ces concentrats dans l’environnement est désormais un impératif.

La réutilisation des eaux usées peut-elle jouer un rôle dans l’approvisionnement en eau potable ?

À ce jour, la réutilisation des eaux usées traitées concerne surtout l’irrigation agricole, car elles contiennent des nutriments valorisables, ou encore des usages urbains comme le nettoyage de voiries, l’arrosage d’espaces verts, ou la lutte contre les incendies. Mais certaines pratiques émergent, comme la recharge artificielle de nappes phréatiques, qui permet indirectement de produire de l’eau potable après un nouveau passage dans les filières de potabilisation. Dans un contexte de stress hydrique croissant, on peut imaginer qu’à moyen ou long terme, des filières de potabilisation directe d’eaux usées traitées seront mises en place, comme cela se pratique déjà dans certains pays. Toutefois, cela nécessitera une évolution réglementaire majeure et une acceptabilité sociétale.

On reproche souvent à l’eau du robinet d’être contaminée. Qu’en est-il réellement ?

Il faut distinguer perception et réalité. L’eau du robinet reste l’aliment le plus contrôlé : près de 60 paramètres sont surveillés en continu. Les contaminations détectées sont le reflet de nos activités humaines, mais elles demeurent majoritairement sous les seuils sanitaires. Et surtout, il faut relativiser les apports : pour les pesticides, par exemple, l’eau du robinet ne contribue qu’à environ 5 % de l’exposition totale. L’essentiel provient de l’alimentation.

Et l’eau en bouteille ?

Elle n’offre aucune garantie supérieure. Au contraire, des analyses montrent des teneurs plus élevées en micro et nanoplastiques dans les eaux conditionnées que dans l’eau du robinet. À cela s’ajoute un impact environnemental considérable via la production et le transport des bouteilles, ainsi que le recyclage très insuffisant des plastiques. Pour une qualité similaire, l’eau en bouteille coûte des dizaines de fois plus cher et engendre des pollutions supplémentaires.

Peut-on dire que la potabilisation de l’eau restera un enjeu central de santé publique dans les décennies à venir

Sans aucun doute. La potabilisation a permis l’éradication de nombreuses maladies hydriques, et elle reste un socle sanitaire essentiel. Mais les contaminants émergents, l’évolution de la réglementation, la raréfaction de la ressource et le changement climatique rendent la question encore plus stratégique. L’eau du robinet doit être valorisée, encouragée, et perçue pour ce qu’elle est : une ressource sûre, contrôlée, et beaucoup plus durable que toute alternative en bouteille.

Propos recueillis par Pierre Thouverez

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Posté le par Pierre Thouverez


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