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Cruz Foam

Interview

Des USA à l’Europe, Cruz Foam surfe sur la vague des matériaux d’emballage vertueux

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Chimie et Biotech

Née en 2017 sous le soleil californien, Cruz Foam a mis au point une technologie inédite permettant de produire, à partir de déchets alimentaires, une mousse aux performances mécaniques remarquables – utilisable notamment pour de nombreuses applications d’emballage en tant qu’alternative aux mousses plastiques pétrosourcées – en outre entièrement biodégradable et ce, sans générer le moindre microplastique.

S’il se décrit lui-même comme un piètre surfeur, c’est en tout cas bel et bien en glissant sur les vagues de la côte californienne que John Felts a eu l’idée de s’attaquer au sujet de la pollution plastique des océans. Un point de départ qui l’a tout d’abord incité à chercher un moyen de rendre les planches de surf plus écologiques, avant qu’il ne décide, avec Marco Rolandi, cofondateur à ses côtés de Cruz Foam, de se tourner plutôt vers un domaine aux conséquences environnementales bien plus larges : celui des matériaux d’emballage à usage unique. Un secteur dans lequel la mousse biosourcée et biodégradable mise au point par l’équipe de la jeune pousse californienne trouve ainsi, aujourd’hui, de nombreuses applications, comme nous l’explique, depuis sa Californie natale, John Felts, cofondateur et CEO de Cruz Foam. Une start-up en pleine ascension aux USA, mais aussi désormais en Europe et qui figure déjà notamment parmi les 200 « Best Inventions » sélectionnées par Time Magazine en 2023.

Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce qui vous a amené à cofonder Cruz Foam ? Quel a été votre parcours antérieur ?

John Felts - Cruz Foam
John Felts a cofondé Cruz Foam en 2017 aux côtés de Marco Rolandi. © Cruz Foam

Je suis né et j’ai grandi en Californie. J’ai une formation universitaire en génie chimique, et j’ai commencé par travailler en tant que consultant environnement, pendant près de six ans. J’ai ensuite repris des études à l’Université de Washington, en vue d’obtenir un master en génie des matériaux. C’est à ce moment-là que j’ai fait la rencontre de celui avec qui j’ai ensuite cofondé Cruz Foam, Marco Rolandi. Il était alors enseignant-chercheur, et travaillait notamment avec son équipe sur les matériaux biosourcés, et plus particulièrement sur la chitine – j’y reviendrai – le deuxième biopolymère le plus abondant au monde, que l’on trouve en effet dans de nombreux aliments, à commencer par les crustacés.

L’idée à l’origine de la création de l’entreprise nous est venue en surfant… En pratiquant ce sport de glisse, nous avons en effet pris conscience du mauvais état de santé de l’océan, notamment de sa pollution par les plastiques et microplastiques, et donc, par la même occasion, du fait que nos planches de surf [faites notamment d’un cœur de mousse polyuréthane ou de polystyrène expansé, n.d.l.r.] incarnaient une partie du problème…

C’est ce constat qui nous a conduits à fonder Cruz Foam, en 2017, alors que j’étais encore chercheur stagiaire au sein de l’Université de Californie à Santa Cruz, où j’étais en effet parti un an plus tôt, et où Marco enseigne également.

Comment votre travail de R&D a-t-il alors débuté ?

Notre premier objectif a été de trouver un moyen de rendre ces planches plus écologiques. Nous nous sommes ainsi attelés à la mise au point d’un matériau qui leur serait spécifiquement destiné : une mousse biosourcée très performante, capable de rivaliser avec les mousses pétrosourcées utilisées pour la fabrication de ces planches de surf.

Nous avons toutefois fini par réaliser que, si elles l’incarnaient bel et bien d’une certaine façon, ces planches de surf ne représentaient clairement pas l’essentiel du problème que nous cherchions à résoudre. Nous avons compris, aux alentours de 2019, que cette application précise ne nous permettrait pas de diffuser notre mousse biosourcée à grande échelle. Nous avons donc opéré un pivot, en nous intéressant cette fois aux matériaux d’emballage à usage unique.

Le principal constat auquel nous sommes alors parvenus, était que, pour être mis en œuvre, les autres biomatériaux nécessitaient un procédé très spécifique, et trop coûteux, impossible à faire adopter à grande échelle par les acteurs du secteur de l’emballage.

Quelles furent alors les étapes suivantes de votre travail de R&D ?

Nous nous sommes lancés, pendant près de cinq ans, dans un travail visant à développer une technologie facile à mettre en œuvre sur des installations de production existantes. Ceci, en misant en outre sur l’utilisation de diverses matières premières issues de déchets agricoles et alimentaires, et notamment le chitosane, un dérivé de la chitine que j’évoquais.

Quand la grande distribution s’approvisionne en crevettes, par exemple, leurs fournisseurs se chargent en effet de les décortiquer. Or, jusqu’à présent, ces carapaces finissent tout simplement jetées, pour l’immense majorité d’entre elles. C’est un vrai gâchis ! À l’inverse, miser sur la valorisation de ces déchets nous semblait un bon moyen non seulement de ne pas prélever inutilement de ressources non renouvelables, mais aussi d’obtenir par la même occasion une matière première très bon marché, ce qui se révèle indispensable pour faire face à la concurrence du secteur pétrochimique.

Nous avons donc développé un procédé permettant d’utiliser – à hauteur de 70 % – ce chitosane et quatre autres types de déchets agricoles et alimentaires, pour produire notre mousse biosourcée. Et ce, au travers d’un procédé très commun, omniprésent dans le domaine de la production de mousses pétrosourcées : l’extrusion.

Comment, justement, le procédé que vous avez développé fonctionne-t-il précisément ?

Le procédé que nous avons mis au point passe tout d’abord par la transformation des déchets que j’évoquais – que nous récupérons généralement sous forme de poudre ou de liquide – en granulés. Cette étape de granulation est particulièrement importante : ces granulés doivent en effet être très homogènes, pour permettre un bon déroulement de l’étape suivante qu’est l’extrusion. Nous avons donc développé un procédé de compoundage qui relève du secret industriel… Je peux simplement dire qu’il permet d’obtenir une matière monophasique présentant une excellente copolymérisation, une excellente réticulation, et qui peut ainsi facilement être introduite, sous forme de granulés, dans l’équipement qui permet de mettre en œuvre la dernière étape du procédé : l’extrudeuse.

Comment se déroule alors cette ultime étape que vous évoquez, l’extrusion ?

Pour cette étape, tout est une question de timing… La production de mousse par extrusion nécessite en effet une parfaite synchronisation du processus. La mousse se forme à partir d’une matière fluide qui s’expanse sous l’action d’un gaz, en l’occurrence de la vapeur d’eau. Il nous a donc fallu trouver un moyen pour que la matière ne se solidifie ni trop vite – ce qui empêcherait en effet son gonflement – ni trop lentement, car la mousse finirait alors par se rétracter. Cela repose sur une parfaite combinaison de la matière première et des composants internes de l’extrudeuse. C’est là toute la magie de la fabrication de la mousse, qui est d’autant plus difficile à produire lorsqu’elle est biosourcée !

Quels produits, quelles solutions d’emballage proposez-vous à partir de cette mousse biosourcée ?

Cruz Foam
Cruz Foam fournit notamment des plaques de mousse « brute », palettisées, à des transformateurs qui se chargent alors de les découper à façon, pour approvisionner ainsi en emballage de grands industriels. © Cruz Foam

Nous commercialisons tout d’abord une solution basée sur la production de plaques de mousse « brutes », d’une épaisseur maximale d’un peu moins de quatre centimètres, et d’une largeur d’environ un mètre vingt pour deux mètres quarante de large. Nous les fournissons directement sur palettes à des partenaires, qui se chargent à leur tour de transformer ces plaques de mousse, en les découpant aux dimensions voulues. Ils approvisionnent finalement de grands industriels tels que Sony, ou Whirlpool, qui utilisent notre mousse ainsi façonnée pour emballer leurs produits.

Cruz Cool, Cruz Foam
Entre autres produits finis, Cruz Foam propose notamment une solution d’emballage isotherme baptisée Cruz Cool. © Cruz Foam

Nous avons aussi développé une solution spécifiquement dédiée au transport de produits sensibles : Cruz Cool. Fabriquée à partir du même procédé, notre mousse est cette fois associée à une boîte en carton ondulé, et permet de protéger, à la fois du froid et du chaud, des aliments et des boissons, mais aussi des produits pharmaceutiques, tels que des vaccins.

Dans le même esprit, nous commercialisons également une solution spécifiquement dédiée au transport de bouteilles de vin : EcoVino.

Enfin, nous croyons aussi beaucoup en une application basée sur une approche que nous appelons « block & brace » [littéralement, bloc et renfort, n.d.l.r.]. Elle se destine à la protection de produits lourds et fragiles, dans des secteurs comme l’électronique, l’électroménager, les produits de luxe, comme l’illustre le travail que nous menons avec LVMH, dans le cadre du programme « La Maison des Startups », que nous avons rejoint en 2023.

Et au-delà même de l’emballage, nous entrevoyons aussi de nombreuses opportunités de développement dans des secteurs comme la construction, les transports ou encore l’automobile. Nous voyons en effet notre mousse plutôt comme une plateforme technologique, que comme un matériau d’emballage en tant que tel. Nous ne nous considérons d’ailleurs pas comme un spécialiste de l’emballage, mais bien comme un producteur de matériau.

Quelles sont, pour l’heure, vos capacités de production et les pistes que vous envisagez d’emprunter pour poursuivre votre développement ?

Nous avons déjà lancé la production en Amérique du Nord, et disposons notamment pour cela d’une usine sur la côte Est des États-Unis, capable de produire environ 4 200 m2 de mousse par mois. Nous comptons aussi poursuivre notre développement en nous associant à des partenaires, en commençant naturellement ici, en Amérique du Nord. Nous avons déjà trouvé un premier partenaire local qui va nous permettre d’étendre notre production à la côte ouest, et même sans doute jusqu’au Mexique, avec un lancement prévu pour le début de l’année prochaine.

Par ailleurs, nous ressentons également une demande considérable sur les marchés européens, qui nous semblent ainsi un terreau particulièrement fertile pour mener à bien notre projet le plus rapidement possible, en Italie et en France notamment. Nous cherchons donc activement à nous y implanter, pour commencer une commercialisation, idéalement, dans le courant de l’année prochaine.

Nous avons d’ailleurs d’ores et déjà signé un accord de partenariat avec une entreprise française spécialiste de la découpe et de la transformation de mousse : AMC Industrie.

Je pense aussi que notre capacité à aller directement vers les producteurs, et à les convaincre que notre procédé peut être mis en œuvre avec leurs outils industriels existants et la main-d’œuvre dont ils disposent déjà, va véritablement permettre de faire bouger les choses.

D’autant que, grâce à notre capacité à nous approvisionner en matières premières biosourcées et à produire en très grande quantité sur les lignes existantes, nous sommes en mesure de proposer notre produit à un coût très proche, voire égal à celui des mousses plastiques pétrosourcées actuellement disponibles sur le marché. C’est un véritable changement de paradigme, qui se conjugue, en outre, au fait que le matériau soit compostable.

Il est en effet entièrement biodégradable, et ce, en moins de huit semaines. Cela ne produit évidemment aucun microplastique et permet même, au contraire, de régénérer les sols. En se dégradant, notre mousse peut ainsi favoriser la germination et la croissance des plantes. Nous voyons donc dans notre mousse biosourcée une solution entièrement circulaire, tant par sa production et sa mise en œuvre industrielle, que par le retour à la terre qu’elle permet, sans dégrader l’environnement, et même, au contraire, en lui étant bénéfique… Tout comme à l’humain d’ailleurs, qui est en effet, lui aussi, l’une des premières victimes de cette terrible pollution par les microplastiques contre laquelle nous entendons lutter.

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Posté le par Benoît CRÉPIN


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