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Interview

Vibiscus : la fine fleur de la réduction de bruit

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Chimie et Biotech

Créée en septembre dernier à Besançon, la start-up Vibiscus développe un système permettant de contrôler de manière intelligente les nuisances sonores. Basé sur un module de base permettant de modifier les propriétés de l’air, ce système se destine notamment à réduire le bruit généré par les systèmes de ventilation.

Faire circuler l’air tout en bloquant le bruit. C’est le tour de force réalisé par Vibiscus, entreprise née de travaux de recherche menés à l’Institut Femto-ST, basé à Besançon. Contrairement à des systèmes conventionnels d’annulation de bruit, la solution développée par l’entreprise parvient à absorber un bruit en modifiant l’impédance acoustique de l’air au plus près de la source de nuisance. Assemblable à l’envie, une brique de base de 5x5x3 centimètres permet de donner naissance à un matériau absorbant programmable, capable de réduire drastiquement un bruit spécifique – le ronronnement d’un système de ventilation par exemple – mais également une plage de fréquences plus large. Alors que l’équipe de la jeune entreprise commence à s’étoffer, et que des démonstrateurs ont déjà fait leurs preuves, Vibiscus vise un début de commercialisation de sa solution dans les trois prochaines années, comme nous le dévoile son président et co-fondateur Gaël Matten.

Techniques de l’Ingénieur : Quelles ont été les grandes étapes qui vous ont mené à la création de Vibiscus ? Comment la technologie que vous mettez en œuvre fonctionne-t-elle ?

Gaël Matten (crédit photo : FEMTO-ST – S.Quarroz)

Gaël Matten : La technologie est issue de la recherche publique. Elle est née à l’Institut Femto-ST, basé à Besançon, une unité mixte de recherche du CNRS, de l’Université de Franche-Comté et de l’École nationale supérieure de mécanique et des microtechniques (ENSMM). C’est un laboratoire dans lequel j’ai passé presque huit ans : j’y ai fait ma thèse et des post-doctorats successifs. J’y ai également travaillé avec deux des co-fondateurs de la société : Manuel Collet, qui est directeur de recherche CNRS et Morvan Ouisse, professeur des universités à l’ENSMM.

L’Institut Femto-ST a plusieurs départements, dont un dédié à la mécanique appliquée, et plus précisément en ce qui nous concerne, à l’étude des ondes dans les solides (les vibrations), et des ondes dans l’air (l’acoustique).

L’institut avait à l’origine un axe de recherche assez novateur et unique qui consistait à chercher à modifier le comportement des matériaux, et à contrôler les vibrations et l’acoustique par le biais d’une myriade de petits systèmes, que l’on appelle les systèmes distribués. Le but était d’obtenir des comportements de structure qui n’existent pas naturellement. C’est cela qui a donné naissance à des systèmes acoustiques basés sur des matériaux programmables. Ces matériaux sont constitués d’éléments appelés cellules dont les propriétés, les capacités acoustiques, sont programmables électroniquement. L’idée est de faire des structures composées d’éléments comparables aux pixels d’une image. Au niveau acoustique, on peut ainsi obtenir des matériaux absorbants, qui diffèrent des dispositifs antibruit conventionnels qui envoient un contre-bruit pour masquer le son. Grâce aux procédés que nous avons développés, nous modifions le comportement du média dans lequel se propage l’onde. Pour l’acoustique, on modifie donc localement le comportement de l’air, au lieu d’envoyer un contre-bruit. Ce sont les propriétés d’absorption de l’air qui sont modifiées. Cela est intéressant car, même quand un bruit très complexe arrive, il peut être absorbé par le matériau. Ce matériau est assez fin, et peut absorber des ondes basses fréquences qui nécessitent normalement de fortes épaisseurs de mousse, comme ce qui se fait dans les chambres sourdes ou certains studios d’enregistrement. Or, dans la vie de tous les jours, on n’a pas toujours le luxe de pouvoir installer de la mousse partout, qui est relativement chère, et qui pose des problèmes d’encombrement.

La start-up est donc née de ces recherches menées au laboratoire. Sa création s’est faite dans le but de poursuivre ces travaux. De la science-fiction, nous sommes passés à la science tout court ! Sa naissance administrative a eu lieu en septembre 2021, mais le moment où nous nous sommes dit que l’on pourrait lancer une start-up remonte à 2017. Nous avons alors suivi différentes phases : de pré-maturation, de formation à l’entreprenariat, d’incubation… Nous sommes aujourd’hui installés au sein d’une pépinière d’entreprises, et nous avons recruté deux salariés. L’idée, désormais, est de diffuser cela sous la forme d’un produit et de services qui permettent à la population d’en bénéficier.

Pourquoi ce nom de « Vibiscus » ?

Il s’agit de la contraction de « vibration », pour des raisons directement liées à la thématique sur laquelle nous travaillons, un clin d’œil aux origines du projet (l’étude des vibrations) ; et de « hibiscus », qui est une plante que j’aime particulièrement. C’est aussi un clin d’œil à mon enfance… Le nom Vibiscus avait l’avantage d’être spécifique au niveau de sa prononciation et de refléter l’esprit et l’histoire du projet.

Pouvez-vous nous décrire, sur le plan technique, le dispositif que vous avez développé ? Quelles sont ses caractéristiques et comment fonctionne-t-il ?

Comme je l’évoquais précédemment, son principe de fonctionnement ne repose pas sur l’envoi d’un contre-bruit, qui ne fait que masquer le son indésirable. Pour nous, même si les ingrédients technologiques sont les mêmes, la philosophie est différente. On change ce que l’on appelle l’impédance acoustique, une propriété qui caractérise le comportement du milieu dans lequel le bruit se propage. Pour cela, nous utilisons des membranes, qui modifient la vitesse de l’air et des capteurs qui mesurent la pression de l’air. C’est ce rapport entre la pression et sa vitesse que l’on appelle l’impédance et que notre procédé permet de modifier. Cette technologie est évidemment brevetée et permet d’obtenir des surfaces qui vont absorber le bruit localement. L’idée n’est pas de tapisser des mètres carrés de mur avec ce dispositif, mais de l’utiliser localement pour absorber le bruit, par exemple, d’une bouche de ventilation. Les modules sont indépendants et peuvent être assemblés comme des Lego. On a un même élément de base que l’on peut produire en série, et combiner d’une manière différente en fonction de chaque besoin. L’installation est très souple.

Au niveau électrique, on dépense un peu d’énergie pour faire fonctionner l’électronique, mais assez peu finalement, environ dix fois moins qu’un contrôle actif, car on ne cherche pas à égaler un niveau sonore que l’on annulerait avec une contre-onde.

Nous avons développé une interface qui nous permet de programmer le dispositif, d’interagir avec lui, même s’il reste autonome. On peut avoir un réglage intelligent qui analyse le bruit et le traite en conséquence, mais le dispositif a aussi la capacité d’absorber dans de larges bandes de fréquence : on ne cible dans ce cas pas un bruit spécifique, mais une gamme de fréquences dans laquelle le matériau sera capable d’absorber.

Constitué d’un module de base de quelques centimètres de côté, le matériau peut être adapté à chaque situation par assemblage de ces « Lego » antibruit. © Vibiscus

Quels sont les principaux avantages de ce système ?

Le dispositif a notamment deux effets intéressants. Tout d’abord, en installant ces systèmes assez fins dans des fentes et des ouvertures, on peut, par exemple, avoir des bouches d’aération qui laissent passer l’air mais qui arrêtent le bruit. C’est très intéressant : ces systèmes sont en général assez bruyants, mais sont aussi nécessaires d’un point de vue sanitaire. Si je devais résumer en une phrase ce que l’on sait faire : faire circuler l’air tout en arrêtant le bruit.

Le deuxième effet appréciable est lié à l’aspect programmable du dispositif : on peut avoir des propriétés qui changent au fil du temps et des usages. Nous développons notamment des panneaux ajourés, destinés aux espaces de bureaux et plus largement à tous les milieux ouverts. Dans ces lieux, l’idée étant d’avoir de l’échange et de l’ouverture, on ne peut évidemment pas fermer l’environnement. L’objectif pour nous est donc de créer des bulles de silence, plus ouvertes que des cabines complètement fermées. Comme le système est programmable, on peut l’activer et le désactiver à volonté, mais on peut aussi, et surtout, avoir des niveaux d’absorption différents en fonction de l’usage. On peut donc regrouper en un même espace plusieurs usages qui, sinon, nécessiteraient d’avoir plusieurs pièces différentes. Il y a donc un intérêt en matière d’usage des bâtiments et des locaux : on peut multiplier les usages dans des locaux plus petits. Cela signifie donc moins de besoins de construction, moins de dépenses énergétiques en chauffage, en électricité… Pour les télétravailleurs, cela peut également leur permettre de s’isoler du reste de leur foyer.

On commence par ailleurs à prendre conscience de l’impact sanitaire du bruit. Cela cause du stress, perturbe le sommeil, peut contribuer au développement de pathologies… Les bruits basse fréquence notamment sont très fatigants, d’autant plus que l’on a un effet d’accoutumance : on finit par ne plus entendre un bruit car on le filtre mentalement, mais c’est quand il s’arrête que l’on ressent malgré tout un soulagement. On constate malheureusement trop tard que l’on a été soumis à un bruit néfaste.

Quel niveau de réduction de bruit le dispositif peut-il permettre d’obtenir ?

Nous avons mesuré des réductions de bruit allant jusqu’à 40 dB. Pour comparaison, un double vitrage permet une réduction d’environ 30 dB. Au-delà des chiffres, qui ne sont pas forcément parlants, nous avons un démonstrateur dans lequel on génère du bruit avec un haut-parleur et qui permet de faire vivre aux gens, en réalité, la réduction de bruit obtenue. Plus on met de modules, plus la réduction de bruit est importante. Il faut toutefois veiller au rapport coût/performances. L’idée n’est pas de mettre des modules partout, en grande quantité, mais plutôt de les placer de façon intelligente pour que le dispositif soit non invasif et efficace.

Avez-vous évalué le coût de ce système ? Quel type de clientèle visez-vous ?

Il est difficile de comparer son coût avec celui d’autres solutions. L’idée, par exemple, d’une isolation phonique traditionnelle, est de remplir complètement un mur, ce qui n’est pas notre philosophie. En revanche, nous sommes compétitifs par rapport au fait de louer un bureau supplémentaire qui serait nécessaire pour s’isoler du bruit d’un open-space… Nous sommes, de plus, en phase d’industrialisation, avec l’objectif d’une fabrication en série et donc une diminution des coûts. Nous ne nous adressons pas pour l’instant aux particuliers ; peut-être le ferons-nous un jour, mais pas à court terme. Nous visons d’abord les entreprises.

Quelles seront les prochaines étapes à franchir avant d’aboutir à la commercialisation du dispositif ?

Nous avons pour l’instant des démonstrateurs qui fonctionnent bien. La prochaine étape, désormais, consiste à aller sur le terrain installer des prototypes qui feront la démonstration in-situ du bon fonctionnement du système. Cela permettra de convaincre et mesurer la satisfaction des clients. C’est là-dessus que nous travaillons cette année. La commercialisation est prévue dans les trois ans qui viennent. L’équipe se renforce petit à petit, nous recrutons actuellement une troisième personne. Ensuite, par une levée de fonds ou l’appui d’un partenaire, nous visons le passage à dix voire quinze personnes, pour ainsi lancer l’industrialisation massive. C’est le programme des cinq prochaines années…

Nous poursuivons par ailleurs un gros travail de R&D sur l’élément de base du système, afin d’en améliorer les performances, d’en réduire le coût, de le simplifier, de le rendre plus compact, moins énergivore. C’est un programme de fond, qui comprend également une amélioration continue des programmes informatiques qui permettent le fonctionnement du système. L’avantage est que nous pourrons proposer des mises à jour qui vont faire avancer le système déjà existant : le matériau est programmable mais aussi évolutif. Il ne sera pas nécessaire de le jeter pour en installer un nouveau plus tard.

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Posté le par Benoît CRÉPIN


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